Une maison d’architecte en Californie, une villa épurée plantée dans le sud-ouest, un design pensé par un architecte à Ibiza, un esthète plutôt qu’un collectionneur à la frontière italienne ?
Vous êtes dans les hauts de France, dans la banlieue aisée de Lille, chez Damien, pins parasols, cube lumineux, cuisine japonaise et motos anglaises…
Damien fait partie de cette caste minoritaire d’hommes qui peuvent s’offrir leurs rêves, ce n’est pas une question d’argent, c’est une histoire de goût, de priorité, voire d’art de vivre. Qui n’a pas rêvé de vivre entouré de ses passions à commencer par cette maison pensée par le couple et réalisée par l’architecte Sophie Bello.
C’est en dehors du ventre de la ville, bouillant et suffoquant, dans un écrin de verdure, que ces trois cubes blancs finement dessinés disparaissent dans une végétation pensée comme des îlots lointains. Il faut avoir visité « du pays » pour concentrer ici des airs de Californie ou d’Ibiza ! Il faut dire que Damien en fait des tours du monde pour son job et on comprend que ce trop-plein de civilisations se traduise chez lui par une ivresse d’essentiel, de vide maîtrisé et de blanc pur et serein. Ce qui frappe dans cette maison, c’est son équilibre « dedans dehors », la construction semble totalement ouverte.
Dans un sofa blanc, nous nous asseyons pour prendre un café noir, le temps pour moi de laisser traîner mes yeux sur chaque objet, c’est blanc, totalement blanc, comme si cette maison avait été pensée pour accueillir ses motos. Ce qui surprend c’est que l’œil ne se perd pas dans cette surface, le cerveau va à l’essentiel, à l’utile, en tout cas les miens se fixent sur les « meules » du propriétaire…
Que des anglaises Damien ?
« Les anglaises se méritent, elles demandent un apprentissage, elles doivent être apprivoisées » me dit Damien et il poursuit en m’indiquant que toutes ses motos viennent d’Angleterre, d’Ecosse ou d’Irlande et qu’elles ont toutes un historique et une histoire avant de les acquérir, pendant l’acquisition et depuis quelles sont siennes.
« Je les ai rêvées, cherchées et j’ai fait à chaque fois le voyage accompagné par mes amis de toujours, car la moto c’est une histoire d’hommes, de passions partagées et d’aventures ». « Et croyez-moi, des aventures, il y en a eu avec ces motos »!
L’une des premières acquisitions de Damien fut la Norton ES2 de 1958, en configuration Manx. Dans son fameux cadre featherbed, picouzé à l’anglaise les motos s’enchaînent. Dans la pièce principale trône une BSA et une Triumph. La BSA, n’est pas anglaise, mais Ecossaise. Une Triumph Trophy, 500cc au milieu du séjour, qui arbore le numéro 278 de Steeve Mc Queen me fait dresser les poils… Elle aussi vient d’Angleterre et a participé à des concours dans son pays d’origine. Une Norton Commando de 1970 orange version US et enfin une Vincent Rapide qui doit débarquer d’Angleterre via les côtes Normandes compléteront le décor dans quelques jours !
Mais attention cette « Maison Blanche » n’est pas un musée ! Toutes les motos roulent et souvent, j’en suis témoin. Je croise Damien en ville ou lors d’événements, accompagné de ses potes, qui comme lui, vivent la moto comme un art de vivre, comme projetés dans un autre espace-temps. Survivants d’une époque où les anglais dominaient la scène moto. Alors qu’ici nos petites cylindrées nous transportaient tels des utilitaires, l’Angleterre vivait l’âge d’or du café racer, des Rockers… Blousons noirs, jeans brut, rock’n roll et affrontements à coup de clés anglaises entre Ton up boys avant de sombrer dans l’histoire ou le folklore !
La classe laborieuse a fait place aux gentlemen’s riders, aux dandys en Lewis Leather ou en Barbour Trailmaster flanqués de casques Ruby. Damien et ses amis sont de cela, ils font revivre à leur manière cette période qui n’est pas la nôtre, mais qui est devenue tellement tendance (Les pages de Moto Heroes ne sont pas étrangères à ce revival dont la mode et le cinéma se sont largement emparé). On a tous des images, des sons, des odeurs, on a tous envie de mettre un coup de jarret sur un kick et de sentir entre nos fesses, les vibrations et le vibrato d’une Bonnie … Elles sont là, dans chaque pièce de cette maison, disponibles aux regards de celui qui les possède et à tous ceux qui sont les bienvenus et partagent cette passion pour les beaux objets. Des cuirs d’époques ou de collections, ornent le garage autour de sa TR3 à la couleur parfaite, comme tout le reste d’ailleurs. Le casque qui ne va qu’à l’une et pas pour l’autre, question de couleur et de cohérence. Des magazines, des bouquins d’art où s’entremêlent la grande histoire et la petite histoire « motocyclettiste ». Des blasons, des écussons, des souvenirs de rendez-vous incontournables, comme Stafford et Beaulieu en Angleterre, ou encore Goodwood ou du Wheels & Waves… Chapeau à la maitresse de maison, qui accepte les anglaises jusqu’à la suite parentale, je ne connais personne qui sait faire cohabiter une française et une anglaise dans la même chambre, à part Gainsbourg !
Damien nous raconte quelques anecdotes sur ses escapades anglaises. Une enchère sur une Norton avortée car c’était un français. Une montée à Glasgow avec un pote sur un coup de tête à une heure du matin pour acheter une moto et finalement revenir avec deux meules car son acolyte tombe amoureux d’une Triumph… Trente heures sans dormir, mais qu’importe, ça crée des souvenirs ! Des motos qui ne démarrent qu’en Angleterre et qui passant la frontière ne veulent « craquer »…
On reprend un café, le soleil est toujours là et nous appelle derrière les pins parasols ou les bambous. Damien me tend un cuir et enfile le sien en me demandant de choisir. J’ai toujours voulu être dans la peau de Steve McQueen ou dans celle d’une de ses conquêtes. Religieusement, j’enfile donc la Triumph de Steve et Damien sa BSA. Pas besoin de forcer, ces motos sont matching number et disposent de leur dossier historique, of course.
On part faire du bruit dans le quartier où règnent de gros SUV de marques Allemandes ou Suédoises. Alors que certains préparent du quinoa ou du tofu, les fans des sixties que nous sommes, enfument les promeneurs en Cyrillus ou en Eden Park…
Par Laurent Scavone
Crédits photos : Laurent Scavone
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