Alors que le port du masque est pleinement intégré par chacun d’entre nous, avons-nous le droit de nous interroger sur les effets troublants du seul moyen de protection disponible ?
Par Laurent Scavone, photographe.
Je ne parle pas ici de la gêne occasionnée par le port du masque, je souhaite illustrer la double distance que le masque nous impose. La double distance entre les autres et nous-même en faisant disparaitre nos visages respectifs nous faisons disparaitre « ce lieu merveilleux où autrui se découvre à nous ». Dissimuler la signature de ce qui définit l’autre tout en nous empêchant d’être bousculés, charmés, chamboulés, et même inquiétés par le visage de l’autre.
Je me surprends depuis le port du masque à chercher le regard de l’autre, à appuyer mes expressions, à les marquer davantage pour souligner les traits de ma personnalité, pour que politesse, gentillesse, bienveillance ou compassion soient définies ou assimilées. Mais que se passerait-il si notre visage disparaissait, quels traits de nous-même resterait-il ? Car le visage nous définit, nous distingue, nous rapproche, nous éloigne : du premier regard du nouveau-né, de ce visage que nous cherchons dans la foule pour nous rassurer, de celui qu’on adore aimer, bref, qu’adviendrait-il de notre civilisation si notre visage disparaissait ?
Se rendre invisible à l’autre, ne plus être, ne plus paraître !
Exercice paradoxal car présenté ici dans les pages d’un magazine, lieu du paraitre et de la vanité assumée. Nous avons essayé, s’en doute avec maladresse, d’illustrer ces quelques lignes. Ce que nous avons appris lors de cette séance photos, c’est que nous n’arrivions pas à faire simple. Pour réussir à exprimer avec le corps ce qu’un visage raconte, nous avons tout exagéré, à commencer par les postures de Marie (notre modèle), idem pour nos voix, notre diction, les mots utilisés pour installer la confiance nécessaire à l’abandon du corps de Marie.
Sans mise en scène, pas d’émotions, pas de traits de caractère, pas de saveur, pas d’individualité, pas de conscience de soi, ni de l’autre… Notre civilisation défigurée.